France compétences investira plus de 13 milliards en 2022

Article rédigé par Laurent Gérard sur France Inffo

Le 25 novembre 2021, le conseil d’administration de France compétences était appelé à voter son budget prévisionnel 2022, présenté dans le tableau ci-dessous. Ce budget prévoit 13,3 milliards de dépenses pour 9,5 milliards de recettes. Les postes majeurs d’investissements 2022 portent sur l’alternance (7,8 milliards), le compte personnel de formation (2,6 milliards), et la formation des demandeurs d’emploi (1,6 milliard).

Les représentants de l’État ont voté pour, les représentants des partenaires sociaux -représentants employeurs comme représentants des salariés- se sont abstenus (la CGT a voté contre), et les représentants des régions se sont abstenus également. Les représentants de l’État et les deux personnalités qualifiées ayant voté, le budget a été adopté.

Assumer les déficits pour les autres

Avant de regarder de plus près 2022, un point sur 2021 est nécessaire. « L’année 2021 sera certainement déficitaire d’environ 2 milliards au moins », constate Stéphane Lardy, directeur général de France compétences. L’opérateur a reçu deux dotations de la part de l’État (750 millions et 2 milliards). Ces dotations ont été possibles car le second projet de loi de finances rectificative pour 2021 supprime l’obligation faite à l’opérateur France compétences de présenter un budget à l’équilibre pour 2022. « L’État vient en soutien et nous permet d’assurer la trésorerie. France compétences assume les déficits pour que les autres acteurs puissent travailler », affirme le directeur général. Malgré ces dotations, France compétence a dû emprunter environ 1,7 milliard d’euros cet été. « Le résultat final 2021 dépendra notamment de l’apprentissage, dont on peut se féliciter de l’envol. Une augmentation de +30 % en 2021 est probable. Personne n’avait vu venir un tel décollage en 2018 », affirme Stéphane Lardy.

7,8 milliards pour l’alternance

Pour 2022, le budget prévisionnel prévoit un investissement d’environ 7,8 milliards sur l’alternance au sens large (contrats d’apprentissage et de professionnalisation, Pro-A). « France compétences dispose d’outils de régulation de cette dépense sur l’apprentissage, au travers de la gestion des coûts/contrats, précise Stéphane Lardy. La comptabilité analytique des CFA désormais en place, permet d’objectiver les prix de revient de chaque contrat. Une nouvelle procédure de détermination des niveaux de prise en charge de l’apprentissage (NPEC) vient d’être lancée par France Compétences, elle permettra une convergence des niveaux de prises en charge. Cette responsabilité de fixer les NPEC revient aux CPNE (commissions paritaires nationales emploi). En 2019, France compétences n’avait formulé des recommandations que sur seulement 30 % des NPEC ».

2,6 milliards pour le compte personnel de formation

Pour 2022, le budget prévisionnel prévoit un investissement d’environ 2,6 milliards sur le compte personnel de formation. France compétences estime là aussi avoir des outils de régulation au travers de trois mesures de rationalisation de l’offre de formation : une forte prévision de non-renouvellement d’une partie des certifications du Répertoire spécifique qui arrivent à échéance et étaient enregistrées avant le 1er janvier 2019 ; le blocage par la Caisse des dépôts et consignations des prestataires de formation ne disposant pas de l’habilitation à former délivrée par les certificateurs déclarés à France compétences ; l’obligation de certification Qualiopi pour tous les organismes de formation présents sur Mon compte formation. « Les contrôles seront renforcés à compter de janvier 2022, et généreront mécaniquement des gains budgétaires, avance Stéphane Lardy. Cette régulation via le répertoire renouvelé portera sur environ 900 certifications. Plus que 400 millions d’euros d’économies seraient possibles, voire plus, estime France compétences.

« Le premier objectif de toutes régulations ce ne sont pas les économies pour les économies, mais la montée en qualité », conclut le directeur général, qui reconnaît quand même qu’une réflexion générale sur les priorités futures et le financement de la formation professionnelle doit interpeller tous les acteurs du sujet : État, régions, partenaires sociaux…

Inquiétude de la trajectoire du CPF

Laurent Munerot, vice-président U2P et membre du conseil d’administration de France compétences, estime pour sa part qu’ « Il était difficilement concevable de voter favorablement un budget 2022 présentant un déficit prévisionnel supérieur à 3,7 milliards d’euros, ce d’autant que ce dernier ne semble pas tenir compte des positions défendues par les partenaires sociaux ». Ainsi, ajoute-t-il, « la dotation à la formation des demandeurs d’emploi reste fixée à 1,6 milliard alors que les partenaires sociaux demandaient que la part de l’Etat dans le financement du dispositif soit réévaluée, et celles des entreprises a contrario révisée à la baisse ».

Selon lui, la dotation au financement du CPF s’inscrit dans la continuité d’un niveau de dépenses constaté en 2021 qu’il juge incontrôlable et ne tenant pas vraiment compte de l’impact des propositions de régulation effectuées par les signataires de l’accord cadre national interprofessionnel du 15 octobre 2021.

« Enfin et surtout, défend Laurent Munerot, la dotation au Plan de développement des compétences des entreprises de moins de 50 salariés ne prend même pas en compte l’augmentation des ressources attendues en 2022 et revient donc à une révision à la baisse par rapport à l’enveloppe 2021, déjà insuffisante pour couvrir les besoins des Opco eu égard aux besoins constatés sur l’année 2021. Le PDC-50 apparaît dans ce budget 2022 comme le seul dispositif ne bénéficiant pas d’une augmentation de l’enveloppe prévue, voire étant même en recul ». A cette question sur le PDC-50, les représentants de l’État indiquent que les possibilités de FNE (Fonds national emploi) seront importantes pour soutenir l’effort formation de ces entreprises.

Abstention d’alerte

« C’est la première fois que la CFDT ne vote pas le budget, indique pour sa part Philippe Debruyne, représentant la confédération au CA de France compétences. Il y a eu un décalage important entre le travail mené en commission d’audit et finance de France compétences et ce qui a été présenté par le gouvernement, ne laissant aux partenaires sociaux et aux régions aucune marge manœuvre. Ce qui pose la question de cette gouvernance et du rôle du conseil d’administration ».

Sur le fond, poursuit-t-il, « ce qui inquiète dans ce budget ce n’est pas tant l’alternance qu’on saura maîtriser en cas de dérapage, mais c’est plutôt la trajectoire du CPF. En réalité sur le CPF, à ce jour, on n’a pas de levier de pilotage. En 2020 et 2021, en plus des prêts bancaires souscrits par France compétences, l’État a apporté 2,7 milliards en 2021 pour combler le manque à gagner dû à la crise 2021. Mais quelles seront les mesures en 2022 sur le déficit prévu, et quelles seront elles si le déficit est plus important que prévu ? Rappelons qu’en 2021, sur un prévisionnel de CPF de 1,4 milliard, l’année se termine avec un réalisé de 2,6 milliards. Cette abstention est une abstention d’alerte ».